Annecy-le-Vieux
Introduction 1 : La terre et les hommes
2 : De la préhistoire à la naissance d'Annecy-le-Vieux
3 : La paroisse et ses édifices religieux
4 : Un moyen-âge obscur et difficile
5 : 17ème et 18ème siècle : une image qui se précise et se durcit
6 : La Révolution et l'Empire (1792-1815)
7 : La Restauration Sarde (1815-1860)
8 : De l'Annexion à l'urbanistion
Annexe 1 : La vigne et le vin Annexe 2 : La famille de Menthon de la Balme au château de la Cour
Autres annexes |
1 : La terre et les hommes - 1.5 : Histoires et contes - La légende de la Mavéria
Une communauté humaine affine sa personnalité et conjure ses frayeurs en se racontant des légendes, en enjolivant l’histoire, en se cherchant des patronages illustres, en colportant des aventures cocasses ou naïves. Annecy-le-Vieux ne déroge pas à cette règle.
C’est ainsi que l’imagination populaire a auréolé des épisodes de la vie du Cardinal de Brogny[1] et l’origine de la chapelle de Provins[2]. Dans un tout autre domaine, on racontait volontiers des histoires sur les habitants de Nâves qui avaient la réputation, certainement usurpée, d’être moins finauds que leurs voisins.
On riait aussi de bonnes histoires, véridiques celles-là. Telle la farce jouée au garde-champêtre Lavorel, anticlérical fieffé, dont la pétrolette avait disparu pendant qu’il buvait au café ; ses amis le persuadèrent d’aller prier à l’église pour la retrouver. Il finit par s’y rendre et retrouva son engin devant la statue de Saint-Antoine. Et aussi l’aventure arrivée, à la fin du 19ème siècle, à une noce qui, bravant les instructions de l’évêché, voulut introduire un orchestre dans l’église Saint-Laurent, alléguant que la pratique était courante à Annecy ; dèsn les premières mesures, la cacophonie fut telle qu’ils durent rengainer leurs instruments[3]. Il était bon qu’une population sût rire d’elle-même, habitude un peu perdue aujourd’hui.
On parlait à voix basse de souterrains partant de châteaux et de « sarvants », créatures diaboliques, qui venaient dans les écuries harceler hommes et bêtes, entortillant poils et crinières ; les plus méchants d’entre eux communiquaient aux chevaux une maladie mortelle.
Nous n’avons pas trouvé trace de pratiques magiques à Annecy-le-Vieux. On ignore quel crédit fut accordé aux habitants qui colportait des bruits excusant que l’écrivain français Eugène Süe avait « commerce avec le diable ».
La salamandre, batracien des sources tranquilles (molyon en parler savoyard), a été considérée longtemps comme une créature infernale, capable de vivre dans les flammes. La Revue Savoisienne de 1906 a signalé la découverte d’une salamandre sculptée sur un bloc de molasse dans les ruines de la ferme Croset-Mouchet à Vignières, détruite par un incendie[4].
L’imagination populaire a entouré de légende la roche qui ferme la baie d’Annecy-le-Vieux et qui a porté au fil des siècles les noms de Magueria, Roche Margerie, Pierre Maltournée, en patois Maveria, nom sous lequel elle est connue aujourd’hui.
Au milieu du siècle dernier, l’écrivain J. Replat, qui avait une maison de campagne aux Barattes, la décrit comme un obélisque menaçant, arrêté dans sa chute par une main mystérieuse, théâtre d’anciennes cérémonies druidiques…, en bref, tous les ingrédients de nature à inspirer aux villageois une « religieuse terreur »[5]. Les descendants de la famille Quétand, ancienne famille d’Annecy-le-Vieux, ont bien voulu nous communiquer la légende qui suit, légende qui correspond bien à la tonalité de celles qu’ont racontait pour passer le temps pendant les longues soirées d’hiver.
Il était autrefois une riche famille, les Duvernet, dont le père refusait la main de sa fille Blanche à un honnête jeune homme, très bon chrétien mais très pauvre , du nom de Robert Deschamps. C’était la nuit de Noël et, comme un orage épouvantable avait empêché les gens de se rendre à l’église, on s’était réuni dans le « pêle[6] » de la ferme. Robert était parmi les invités. Le père de Blanche avait fait préparer un repas frugal : du lard salé, une « brisolée » de châtaignes[7], le tout arrosé de cidre.
Brusquement la porte s’ouvre, laissant passage à un mendiant considéré comme un sorcier car il jetait des sorts sur le bétail et polissait le blé dans l’épi ; il n’avait jamais prié Dieu. On ne pouvait cependant lui refuser l’hospitalité une nuit de Noël. Une fois rassasié, il s’installe sur la paille de l’écurie.
Minuit allait sonner quand la jument se mit à hennir d’inquiétude : un « sarvant » était entré dans l’écurie. Il révéla au mendiant que, dans quelques jours, comme tous les cent ans, les pierres de la montagne iraient boire au lac, découvrant les diamants sur lesquels elles étaient posées. Mais il fallait se dépêcher pour en profiter car elles revenaient très vite à leur place, écrasant celui qui ne pouvait présenter un trèfle à quatre feuilles cueilli dans la grotte des Sarrazins.
Trois jours plus tard, le sorcier rencontra Bernard qui gravait une croix sur la plus haute des roches ; il lui expliqua comment devenir riche, mais sans lui dire comment se protéger. A minuit, dans un fracas de tonnerre, les pierres dévalèrent vers le lac et le sorcier commença à remplir son sac de diamants. Mais déjà les pierres revenaient. Le sorcier brandit son bouquet magique tandis que Robert crut sa dernière heure venue. Soudain, la pierre sur laquelle il avait une croix s’arrête devant lui comme pour le protéger ; c’est désormais une pierre baptisée qui ne pouvait nuire à un chrétien. Quant aux herbes magiques, elles n’avaient aucun effet sur elle. La pierre écrasa le sorcier et resta figée à cet endroit dans une position bizarre qui la fit surnommée la « Maveria » (mal tournée). Robert put alors ramasser des trésors et, bien entendu, obtenir la main de Blanche. Quant à l’âme du sorcier, les vieux paysans vous diront qu’on peut l’entendre gronder les soirs d’orage, mêlée aux appels sinistres des hiboux. Date de création : 26/02/2010 @ 20:59 |