Annecy-le-Vieux
Introduction 1 : La terre et les hommes
2 : De la préhistoire à la naissance d'Annecy-le-Vieux
3 : La paroisse et ses édifices religieux
4 : Un moyen-âge obscur et difficile
5 : 17ème et 18ème siècle : une image qui se précise et se durcit
6 : La Révolution et l'Empire (1792-1815)
7 : La Restauration Sarde (1815-1860)
8 : De l'Annexion à l'urbanistion
Annexe 1 : La vigne et le vin Annexe 2 : La famille de Menthon de la Balme au château de la Cour
Autres annexes |
7 : La Restauration Sarde (1815-1860) - 7.10 : Ecrivains français dans la commune
A. de Custine, voyageur et écrivain, auteur d’un ouvrage sur « la Russie en 1939 » qui eut du succès à l’époque, se trouvait à Annecy-le-Vieux en 1841. Invité de M. Ruphy, il grimpa jusqu’à la grotte des Aigles[1], située dans la montagne au-dessus de la propriété de son hôte. Il a laissé, en souvenir de son passage, le 23 juillet, une « ode au lac » qu’il a transcrite sur le Livre d’Or de la grotte[2] :
« Abandonnant le monde à son inquiétude,
Sur ces bords orageux j’ai trouvé le repos
Miroir qui du désert double la solitude,
Où s’empreint le reflet du ciel et des coteaux,
Où brille la lumière, âme de la nature,
Que d’heure en heure prête aux monts un autre aspect,
Et sans changer le site en change la parure.
Heureux lac, je t’approche avec un saint respect,
Loin des froides beautés d’un monde qui grimace,
C’est l’image de Dieu qui se peint sur ta glace. »
Le romancier Eugène Süe, auteur des « Mystères de Paris » et du « Juif errant », obligé de quitter la France après le coup d’état du 2 décembre 1851, vint s’installer aux Barrattes dans la maison dite « de la Tour », propriété de M. Ruphy :
« La maisonnette et les volets sont verts ; au pied du Veyrier, elle est assise et plâne sur le lac d’Annecy dont les bords sont couverts de noyers jaunissants … »
L’écrivain paraît s’être plu dans ce décor. Il estime que la vue est très bon marché à Annecy-le-Vieux : « Avec 400 ou 500 francs par mois, on est richissime… Je paye 300 francs de loyer par an et suis confortablement logé. Le bois est pour rien. »
Cet habitué des salons parisiens est surpris par les techniques agricoles locales. Il s’inquiète de voir les vaches utilisées comme animaux de trait, ce qui pourrait les faire avorter. Il s’intéresse beaucoup à la fumure des terres et découvre avec étonnement l’utilisation des roseaux comme fumier ou litière.
A un voisin qui s’excuse de véhiculer « certaines substances » désagréables à l’odorat, il répond que « l’engrais sent toujours bon ». Il a noté qu’un homme peut suffire à l’engrais de la portion de sol nécessaire à la quantité de blé qu’il consomme.
Eugène Süe partage son temps entre la promenade, l’écriture et ses amis. Bon marcheur, il a le vertige. Il n’est probablement jamais monté à la Tournette, où il situe un épisode échevelé de son roman « la Marquise Cornelia d’Alfi, ou le lac d’Annecy et ses environs ».
Pour ses déplacements, il utilise un « char de côté », petite voiture basse où les voyageurs s’asseyaient perpendiculairement à l’axe de la marche. Quand il écrit, il travaille en position semi-horizontale, dans un fauteuil dont les pieds arrière ont été coupés par le milieu, une tablette appuyée sur les bras du fauteuil lui servant de support.
Mais la présence d’Eugène Süe répand une odeur de soufre. Le 22 janvier 1852, veille de son arrivée à Annecy, le Congrégation de l’Index a condamné l’ensemble de son œuvre romanesque. En septembre, une lettre pastorale des évêques de Savoie, lue en chaire, confirme cette condamnation. Elle s’adresse notamment aux aubergistes et cabaretiers qui en procurent la lecture à leurs clients.
L’écrivain entretient cependant de bons rapports avec le curé Pacthod auquel il donne 50 francs par mois pour les pauvres de la paroisse. Il paye les honoraires et les ordonnances des malades indigents de la commune, soignés par son ami, le docteur Bouvier qui écrit : « le malade le plus rebuté, le plus délaissé dans son hameau, était traité avec une véritable délicatesse ».
Des bruits fantastiques courent sur son compte : n’a-t-il pas des rendez-vous avec le diable ? Son voisin, l’avocat Jacques Replat écrit malicieusement à ce sujet : « Il a l’air d’un bonhomme et je n’ai pas encore découvert de pied fourchu sous sa robe de chambre… Je suis d’accord avec lui sur deux points : son culte pour Walter Scott et sa vive admiration pour les sites de notre pays ».
Eugène Süe peut, en effet, compter parmi les promoteurs du tourisme local. Il se demande pourquoi cette partie de la Savoie est presque totalement inconnue des artistes. Dans son roman, il vante les beautés de « ce lac enchanteur dont les aspects variés sont disposés, groupés, proportionnés par la nature avec un bonheur qui défie l’idéal de l’art ».
Les autorités laissent une petite activité politique se développer autour de lui, en liaison avec les libéraux anneciens. La maison de la Tour reçoit des visiteurs illustres : l’Intendant Salino, le Ministre de l’Intérieur Rattazi, Barbès, Arago, la Comtesse de Solms, cousine de Napoléon III, dite « la princesse Brouhaha », qui fut sa dernière égérie.
Il meurt le 3 août 1857, à 53 ans, sans avoir pu répondre aux jeunes gens venus en barque aux Barattes pour l’acclamer. Ses funérailles furent une affaire d’état suivie par le Ministre Cavour qui craignait une émeute à cette occasion. L’autorisation de l’inhumerndans la propriété de la Tour fut refusée. Le nom du romancier fut donné à l’actuelle avenue d’Albigny.
Date de création : 03/03/2010 @ 15:53 |